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Hollande, l'armée et Cahuzac

Affaire Cahuzac, l'armée a eu sa peau

Mis en ligne le 11.04.13 à 00:11

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Patrick Vallélian

DEFENSE. Jérôme Cahuzac voulait couper les ailes de l’armée française sur l’autel de la rigueur budgétaire. Elle l’a fait chuter. Récit d’une affaire d’Etat.

Le lundi 18 mars 2013 au soir, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian a rendez-vous dans ses bureaux de l’Hôtel de Brienne, à Paris, avec Jérôme Cahuzac, le ministre délégué chargé du Budget. C’est la réunion de la dernière chance pour une armée française qui risque d’être la grande sacrifiée sur l’autel de la rigueur et des économies budgétaires du gouvernement de François Hollande. Face à une croissance nulle, un chômage en forte hausse ou encore à des rentrées fiscales en baisse malgré l’augmentation des impôts, le président n’a de toute manière pas le choix. Le déficit va dépasser la barre des 3% du produit intérieur brut (PIB) s’il ne fait pas maigrir le mammouth. Et c’est vers la «grande muette» qu’il se tourne. Il veut appliquer des remèdes drastiques à l’institution qui pèse grosso modo 1,5% du PIB. Comme en Suisse, son budget est une des seules réserves stratégiques du gouvernement, indique Christophe Guilloteau, député UMP et surtout membre de la Commission de défense de l’Assemblée nationale.

«Et puis, à la différence des enseignants ou des infirmières, vous ne verrez jamais des militaires descendre dans la rue pour manifester contre la détérioration de leurs conditions de travail. Ils souffrent en silence. Mais clairement, ils en ont assez d’être une variable d’ajustement budgétaire alors que beaucoup reçoivent leur solde avec du retard à cause de prétendus problèmes informatiques», illustre Jacques Lamblin député UMP et membre de la Commission de la défense nationale et des forces armées, même si en mars 2012 des femmes de militaires ont manifesté contre la précarisation de leur statut. Un mouvement vite étouffé par des pressions sur leurs maris.

Cahuzac se montre d’emblée très offensif. Il veut tailler dans le vif avec une coupe d’au moins 1 milliard d’euros pour 2014 et de plusieurs milliards d’euros les années suivantes. C’est ce qu’il veut proposer dans la future loi de programmation militaire (LPM) qui court de 2014 à 2019. Elle fixerait ainsi le plafond de dépenses pour l’armée à 1,1% du PIB, soit un plus bas historique pour une institution qui pesait 5,44% du PIB au plus fort de la guerre froide.

En gros, cette hypothèse «Z» qui devrait être inscrite dans le Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale impliquerait la suppression de 31 régiments dans l’armée de terre, la vente du porte-avions Charles-de-Gaulle à l’Inde ou au Brésil, l’annulation des commandes des hélicoptères de combat Tigre ou de deux sous-marins nucléaires Barracuda, l’arrêt de la production des Rafale et de l’A400M, l’avion-cargo d’Airbus dont les livraisons devraient débuter cette année encore.

Plus de 51 000 postes seraient également supprimés dans l’armée, soit l’effectif de l’armée de l’air. Des dizaines d’autres disparaîtraient dans les industries militaires françaises qui pèsent pourtant plus de 160 000 emplois et ne chôment pas alors que l’Asie se réarme à vitesse grand V. Des bases françaises à l’étranger seraient fermées, notamment dans le Golfe ou en Afrique. Les budgets du Renseignement extérieur et intérieur seraient également revus à la baisse.

En face de celui qui passait encore ce lundi soir 18 mars pour l’homme fort du gouvernement Hollande, Jean-Yves Le Drian forme un carré digne des soldats suisses. Il s’arc-boute sur le statu quo à 1,5% du PIB ou, au pire, sur l’hypothèse «Y». Il veut bien faire des économies même si les armées guerroient au Mali. Sa proposition: jusqu’à 2 milliards de moins par an, 30 000 suppressions de postes à la Défense et 15 000 dans l’industrie de l’armement public. Les deux ministres ne trouvent pas de terrain d’entente. Mais comment le pourraient-ils tant l’option Cahuzac est indigne d’une puissance mondiale qui siège au Conseil de sécurité de l’ONU, estiment les spécialistes. Elle la priverait en tout de sa puissance de projection. En clair: la France n’aurait plus les moyens de guerroyer au Mali ou en Afghanistan…

Or, heureux hasard, alors que la situation est bloquée et que Hollande, qui reste le chef des armées, est censé trancher le vendredi 22 mars, voilà qu’éclate – vraiment – l’affaire Cahuzac, quelques heures après cette séance à l’Hôtel de Brienne. Le ministre du Budget démissionne en effet le 19 mars après l’ouverture d’une enquête judiciaire à son encontre pour blanchiment de fraude fiscale. On connaît la suite. Après avoir été entendu le mardi 2 avril par les juges du pôle financier du Tribunal de grande instance, Cahuzac avoue avoir menti au sujet de ses comptes à l’étranger. La descente aux enfers est désormais programmée pour l’ancien Edward aux mains d’argent du gouvernement Hollande.

Un hasard, disions-nous! Pas vraiment selon plusieurs sources sécuritaires rencontrées par L’Hebdo à Paris. «Cahuzac? L’armée a eu sa peau. On ne s’attaque pas impunément à nous», lance même triomphalement un militaire proche des Services de renseignement. «Il voulait notre mort. Nous l’avons eu. Et d’autres ministres pourraient suivre si Hollande continue sur cette voie.»

Info ou intox? S’il est difficile d’obtenir des confirmations officielles dans ce domaine, la thèse d’un coup des Services secrets contre le ministre tient la route, estime Christophe Guilloteau, qui a l’impression que le système a dit stop. D’autant que les autorités judiciaires genevoises qui ont reçu le 19 mars 2013 une demande d’entraide judiciaire se sont étonnées de la précision des informations de la justice française au sujet des comptes bancaires du ministre dans les banques Reyl & Cie et UBS.

Service de renseignement. La patte des Services de renseignement français, estiment plusieurs de nos sources. «Et ne croyez pas comme vous avez pu le lire ici ou là que c’est Patricia Cahuzac, la future ex-femme du ministre qui a précipité sa chute. Si elle devait connaître l’existence d’un compte en Suisse, elle aurait été incapable d’en transmettre les numéros à la justice.» Et rien ne dit qu’elle avait effectivement engagé des détectives privés pour enquêter sur la vie et le patrimoine de ministre de son mari. Elle s’en est en tout cas toujours défendu.

Non, la vérité est plus crue, poursuit notre informateur. «Nos services traquent depuis plusieurs années les fraudeurs du fisc à l’étranger et notamment en Suisse où nos hommes sont très présents.» En outre, le cas Cahuzac ne leur était pas inconnu puisqu’il avait déjà été dénoncé en 2008 par Rémy Garnier, un contrôleur du fisc aujourd’hui à la retraite (lire son interview ).

Mais alors pourquoi n’avoir pas agi plus tôt? Une partie de la réponse vient de tomber grâce à un collectif d’officiers de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur). Dans un document de 14 pages, remis le 16 février au groupe de travail sur les exilés fiscaux dirigé par le député socialiste Yann Galut, ces espions confirment que les renseignements surveillent étroitement sur l’organisation de la fraude fiscale internationale, notamment celle organisée par UBS. Mais ils se sont bien gardés de transmettre leurs informations à la justice.  Pourquoi? «Ces services se nourrissent des délits qu’ils ne souhaitent pas voir apparaître ou révéler à l’autorité judiciaire pour ne pas amoindrir leur influence, quand le besoin s’en fait sentir», répondent les membres de ce collectif d’officiers de la DCRI dans ce document cité par La Croix. En clair: ils utilisent leurs informations sur la fraude fiscale quand bon leur semble, en se cachant derrière le «secret défense» pour ne pas transmettre automatiquement leurs pépites aux juges.

Lobby militaro-industriel.  Cahuzac aurait-il été victime de ce système qui fleure bon les vieilles méthodes des Renseignements généraux? Nos sources le confirment en ajoutant que le ministre du Budget s’était également mis à dos les industriels de la Défense en février dernier en annonçant vouloir renforcer les mécanismes de contrôle et de contre-expertise au niveau interministériel des achats du Ministère de la défense, soit plusieurs milliards d’euros par an. Cahuzac ne voulait pas s’arrêter en si bon chemin. Il avait également l’intention d’exiger une baisse des prix de l’ordre de 10% – soit une économie de 300 millions d’euros par an – et d’étudier de très près les marges des industriels notamment en matière de maintenance.»

L’information était quasiment passée inaperçue. Mais elle a l’effet d’une bombe quand on connaît la puissance de frappe du lobby militaro-industriel hexagonal qui représente 165 000 emplois directs et indirects, et un chiffre d’affaires de l’ordre de 15 milliards d’euros, dont le tiers environ est réalisé à l’exportation.

C’était également la porte ouverte pour l’achat de matériel à l’étranger. Bref, une petite révolution qui a fait réagir Dassault, fabricant de l’avion de chasse Rafale, Thales (missiles), ou Nexter (chars), alors que les plans d’économies de l’armée auraient bloqué, sinon gelé de nombreux programmes d’armement. Autre problème: sans la manne étatique et les commandes de l’armée, l’industrie d’armement ne pourrait pas financer le développement de nouveaux systèmes d’armes.

L’armée, les industriels, la droite ont alors fait part de leurs soucis à François Hollande. Et même des parlementaires de gauche à l’image de Patricia Adam. La présidente de la Commission défense de l’Assemblée nationale et surtout élue de Brest, l’une des principales bases militaires maritimes du pays, criait au loup dans Le Monde le 25 mars 2013 en affirmant que l’hypothèse Z visait à «tuer le Ministère de la défense. Dès 2015, si on le suit, il ne lui restera que la sécurité nationale (gendarmerie), les forces spéciales et la dissuasion» nucléaire. Tout le reste aura disparu. Elle ajoutait que ce n’était pas en tuant le budget de la Défense que la France équilibrerait ses comptes.

«La patrie est en danger», tonnait pour sa part Jean-Louis Carrère, le président lui aussi socialiste de la Commission de la défense du Sénat. «Si nous appliquons les scénarios de réduction des moyens qui sont proposés, nous aboutirons rapidement à un véritable déclassement de notre pays sur la scène internationale», ajoutait-il le 19 février dernier lors d’une séance du Sénat en présence notamment du ministre de la Défense.

Le président en chute libre dans les sondages pouvait-il se permettre de torpiller une industrie exportatrice et créatrice d’emplois? Ou pire de voir une armée se révolter face à des coupes trop drastiques? Hollande semble avoir entendu tous ces messages.

Le 28 mars dernier, face aux caméras de France 2, le président annonçait qu’il dépenserait en 2014 exactement le même montant qu’en 2013. Il a également fait un geste en direction des militaires et des industriels en nommant Bernard Cazeneuve au Budget à la place de Cahuzac. Heureux hasard, l’ancien ministre délégué aux Affaires européennes vient de Cherbourg, autre base maritime. La DCNS qui construit, notamment, des sous-marins, y possède également un site de production.

Hollande a enfin repoussé la sortie du Livre blanc de la fin mars à avril, puis au début mai. «Mais ce sera un livre… blanc», résume Christophe Guilloteau qui est membre de la Commission du document. «Il ne faut rien en attendre quant à l’avenir de la Défense. Ce ne sont que quelques vœux pieux. C’est davantage notre philosophie générale de défense. Pas un ordre de marche.»

Débat repoussé. Le président a également remis à l’automne le débat parlementaire sur la LPM. «Nous devions en parler avant l’été normalement pour préparer ce plan d’investissement essentiel puisqu’il fixe les grandes lignes de la Défense durant dix ans», poursuit Christophe Guilloteau. «Est-ce que cela veut dire que François Hollande qui a siégé avec moi à la Commission de la défense nationale de l’Assemblée va revoir totalement sa copie? Ou veut-il passer un budget à la baisse en même temps qu’une LPM rabotée? Tout est possible.»

Mais pour l’élu du département du Rhône, comme pour les hommes de l’ombre, l’Elysée ne devrait plus s’attaquer de face à l’armée. D’autant que d’autres dossiers «fiscaux» seraient prêts pour faire sauter les ministres qui n’auraient pas encore compris. Plusieurs agents se souviennent que Jean-Yves Le Drian avait travaillé jadis dans l’armement, une des industries les plus opaques qui soient. Un ministre, tout comme un président averti, en vaut deux.

France: «L’armée a eu la peau de Cahuzac», par Patrick Vallélian (11 avril 2013)



13/04/2013
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